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Pouvoir en question, question du pouvoir...

Le mouvement de 1968 fut un soulèvement populaire d’une ampleur exceptionnelle. Mais, si ce fut une révolte anticapitaliste, ce ne fut en aucun cas une révolution.


Présent dans les têtes, le problème du pouvoir n’a été concrètement posé que quelques jours, au plus fort du mouvement, fin mai. Jamais en dehors de cette période. De nombreux cortèges de manifestants sont passés devant l’Assemblée nationale gardée par quelques flics en képi : jamais personne n’a proposé de l’envahir… Au bout de quelques jours, la police avait quasiment disparu des rues de Paris, parfois remplacée par des syndicalistes pour faire la circulation. Les ministères restaient quasiment vides et de nombreux élus avaient même quitté le pays. Quant à l’armée, souvent en état d’alerte dans ses casernes, elle était peu visible. Ainsi, les centres névralgiques du pouvoir n’ont jamais été menacés, même s’ils étaient souvent désertés. La mobilisation populaire se limitait aux universités, aux entreprises et à la rue.

Ce n’est qu’à l’apogée de la grève générale que le problème du pouvoir s’est posé. D’abord, le 24 mai, symboliquement, à la fin d’une manifestation de la CGT, par l’incendie de la Bourse. Puis, le 27 mai, avec le meeting au stade Charléty, où Mendès France, avant Mitterrand, fit entendre timidement qu’en cas de vacance du pouvoir, il pourrait se sacrifier ! Enfin, le 29 mai, eut lieu le départ de De Gaulle en Allemagne pour y rencontrer Massu, le chef des troupes françaises qui y stationnaient. Certains pensèrent à une fuite et, le jour même, répondant à l’appel de la CGT, des centaines de milliers de manifestants déferlaient dans les rues, en scandant « Le pouvoir aux travailleurs ». Exigence naturelle, mais complètement abstraite. À qui donner le pouvoir, et comment ? Aux leaders étudiants, à Cohn-Bendit ou à Geismar ? Cela n’était pas sérieux. Ils étaient crédibles pour organiser des barricades, mais pas pour aller au pouvoir. Alors, au PCF et à la CGT ? Mais ces directions bureaucratiques, paniquées par un mouvement extraparlementaire qu’ils avaient du mal à contrôler, n’en voulaient pas, surtout sur la base d’une grève générale ! Aux délégués des comités de grève réunis en coordination nationale à Paris ? Impossible, cette démarche d’auto-organisation du mouvement n’a jamais existé.

Le 30 mai, de Gaulle revenait en France, dissolvait l’Assemblée et il recevait l’accord de la gauche pour enterrer dans les urnes un mouvement extraparlementaire. Des centaines de milliers de gaullistes, soulagés, pouvaient alors défiler sur les Champs-Élysées. La collusion de fait entre de Gaulle, la direction du PCF et celle de la CGT avaient mis fin au soulèvement. En quelques semaines, les grèves allaient peu à peu cesser dans l’écœurement général, permettant ainsi une victoire électorale de la droite lors des élections parlementaires de juin, justifiant ainsi – mais de façon très conjoncturelle ! – le slogan « Élection, piège à cons » !

Alors, comment a-t-on pu en arriver là ? Parti sur une contestation de l’archaïsme du système universitaire et politisé par le refus de la guerre du Viêt-nam, le mouvement étudiant, déjà influencé par la propagande des groupes révolutionnaires – trotskystes ou maoïstes – va faire sa jonction avec le mouvement ouvrier. 68, c’est la période où de Gaulle, plébiscité pendant dix ans par la majorité du monde du travail, apparaît enfin et subitement comme le représentant du patronat, par exemple en s’attaquant par décrets à la Sécurité sociale. En obtenant quelques victoires grâce à l’action radicale – les « barricades » – les dirigeants étudiants serviront de modèle à une classe ouvrière épuisée par des années de défilés traîne-savates et de délégations aux préfectures. Mais là s’arrête la jonction « ouvriers-étudiants ».

Le PCF et la CGT restent très implantés dans les entreprises, et leur méfiance organisée vis-à-vis des « étudiants, petits bourgeois gauchistes » trouve un écho dans les entreprises où l’extrême gauche était quasiment absente. Or, les traditions et la culture staliniennes de l’époque n’ont jamais préparé le monde du travail à prendre le pouvoir par une grève générale, le seul but étant de gagner le maximum de voix dans les élections et le maximum d’élus dans les institutions. La révolte de 68 n’est ni voulue ni préparée. En conséquence, il n’existe aucun programme alternatif crédible capable de donner un débouché politique à la grève générale. Et, surtout, il n’existe aucune force crédible capable de l’articuler et de se porter candidate au pouvoir. Les seules discussions qui se tiennent lors des réunions quotidiennes de la coordination du mouvement – délégués des syndicats et des organisations d’extrême gauche – est de savoir ce qu’on va faire comme initiative le lendemain.

Enfin, et surtout, la grève générale ne s’est pas donné sa propre représentation. À quelques exceptions près, il n’y a pas de véritables comités de grève avec délégués élus et révocables ; et encore moins de coordination nationale, qui aurait pu apparaître comme le contre-pouvoir, des grévistes face au pouvoir, légal mais illégitime, du gouvernement. Dans les universités, la démocratie est celle des assemblées générales, avec souvent des milliers de participants : une caricature de démocratie où, de fait, le pouvoir de décision revient à ceux qui tiennent le micro ou le service d’ordre. C’était déjà là, le débat, depuis Nanterre et le 22 mars, entre Daniel Cohn-Bendit et sa « démocratie directe » et Daniel Bensaïd qui, pour la Jeunesse communiste révolutionnaire, se battait pour l’élection de délégués révocables mais représentatifs.

On peut donc tirer quelques enseignements pour, dans des conditions différentes, aboutir demain à un Mai 68 qui réussisse. Une explosion de ce type n’est jamais prévisible en termes de date. Mais, pour être crédibles, écoutés et reconnus, à une échelle de masse, dans une telle situation, les militants révolutionnaires doivent avoir gagné la confiance des gens mobilisés bien avant l’explosion, c’est-à-dire au cours de toutes les luttes partielles qui la précèdent. Cela implique une force politique déjà implantée et reconnue, aussi bien grâce à l’activité de ses militants qu’à la qualité de ses propositions. En effet, on ne pourra pas se contenter d’être « contre le capitalisme ». Encore faudra-t-il être capable, avant et pendant le mouvement, de proposer un programme crédible, qui parte des préoccupations du monde du travail et de la jeunesse, pour aboutir à des mobilisations qui remettent en cause le système.

Enfin, il semble décisif que les travailleurs en lutte se donnent leurs propres structures de représentation : comités de grève ou de lutte avec des délégués élus et révocables représentant, dans le cadre d’une coordination nationale, la légitimité du pouvoir des gens mobilisés face à celle du gouvernement. Dans un pays où moins de 10 % des salariés sont syndiqués, le comité de grève est l’outil de l’unité, de la démocratie dans la gestion de la lutte et dans son contrôle. C’est aussi l’outil de l’efficacité. Lorsque le problème du pouvoir est posé, cette structure peut devenir le contre-pouvoir crédible et reconnu à opposer à celui des gouvernants. C’est dans cette perspective que nous nous attelons, aujourd’hui, à la création d’un nouveau parti anticapitaliste qui aidera, dans les conditions actuelles, au succès d’un nouveau Mai 68, plus indispensable que jamais.

Alain Krivine


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